La stratégie a (aussi) une dimension culturelle 

Des dirigeants chinois qui utilisent un langage stratégique taoïste, des acquéreurs russes dont les méthodes s’inscrivent dans l’histoire longue de l’empire russe, des magnats indiens dont les choix reflètent une « manière indienne » de diriger… 

Au-delà de leurs aspects universels, les décisions stratégiques sont également marquées par des conceptions culturelles. C’est ce que de plus en plus d’études constatent, dans une perspective que des chercheurs chinois appellent le management stratégique comparé. 

Un domaine éminemment stratégique : les intégrations post-acquisition

Une recherche récente a ainsi analysé les types d’intégration mis en œuvre par des multinationales de différents pays suite à des acquisitions en France. Sujet éminemment stratégique, les intégrations post-acquisition peuvent être abordées avec de nombreux outils et méthodologies de type MBA, souvent considérés comme universellement applicables et appliqués. 

Pourtant, les décisions et la mise en œuvre de ces stratégies se révèlent en réalité très diverses, et fortement corrélées au pays d’origine des entreprises acquéreuses, et de leurs dirigeants. Prenons quelques exemples issus de cette recherche :  

Des décisions stratégiques qui reflètent des conceptions culturelles

Chine.

Les entreprises chinoises optent le plus souvent pour des approches partenariales avec les entités qu’elles rachètent. Elles laissent ces entités relativement autonomes, en nouant progressivement avec elles des synergies, technologiques ou commerciales. Ces synergies s’intensifient avec le temps si elles se révèlent concluantes. Les dirigeants chinois mettent ainsi en œuvre une vision du changement comme un processus continu et graduel, à la fois ténu et constant. Comme le disent des dirigeants chinois, la transformation est un art discret, un management des « choses subtiles ». 

Certains emploient même le vocabulaire de l’eau qui, s’infiltrant lentement dans la terre, la transforme intérieurement sans qu’il y ait un « avant » et un « après » bien net. En cela ils reprennent en fait des terminologies et des réflexions typiques du taoïsme, familier pour tous les Chinois(es) depuis plus de deux mille ans. 

Russie.

Par contraste, les entreprises russes optent dans des situations similaires (secteur, performance économique…) pour des décisions nettement différentes. 

La plupart des acquéreurs russes mettent en œuvre des types d’intégration spécifiques, caractérisés par un contrôle fort et direct des managers de l’entité acquise, et de faibles coopérations opérationnelles. L’entité acquise, et ses dirigeants, se trouvent en état d’obéissance forcée face aux nouveaux propriétaires, sans que l’acquisition ne développe de nouvelles opportunités. Ce type d’intégration, qualifiée de « sujétion », fait écho de manière saisissante aux pratiques et à l’imaginaire politique russe, historique comme contemporain, marqués par une conception de domination où les rapports de pouvoir sont exacerbés.   

Inde. 

Les acquéreurs indiens se caractérisent par des approches de type « préservation ». La plupart des entreprises acquises par des groupes indiens sont conservées telles quelles, tant dans leur structure que dans leurs activités. Elles sont reliées à l’acquéreur de manière lointaine et minimale par du reporting financier et d’éventuelles opportunités de synergies. Elles sont intégrées au business models de ces entreprises indiennes, à savoir le plus souvent un conglomérat de type familial, dans lequel coexistent de multiples entités évoluant de manière autonome. Elles font en cela l’expérience de l’approche managériale indienne, résumée par l’expression Business sutras : une grande diversité organisationnelle avec une mosaïque d’entités. A nouveau, cette caractéristique fait écho à des régularités culturelles de l’Inde, mosaïques de régions historiquement constituée de plusieurs centaines d’entités politiques aux liens parfois distendus. 

États-Unis.

Cette diversité d’approches est d’autant plus marquante qu’aucune d’entre elle n’illustre le modèle typique, caractéristique de grands groupes américains : l’absorption. Dans ce modèle, souvent présenté comme rationnel et universel, il s’agit d’aligner rapidement les pratiques de la cible sur celles de l’acquéreur, idéalement en un temps court. Ce « modèle américain » s’avère donc lui aussi culturellement marqué. 

La dimension culturelle dans le business ne concerne donc pas seulement des aspects soft de communication, de management ou de coopération (équipes, projets…), mais influence également des domaines apparemment uniquement hard comme la stratégie. 

Références

Luo, Y., Sun, J., & Wang, S. L. (2011). Comparative strategic management: An emergent field in international management. Journal of International Management, 17(3), 190–200. 

Marchand, M. (2017), Do All Emerging-Market Firms Partner with Their Acquisitions in Advanced Economies? A Comparative Study of 25 Emerging Multinationals’ Acquisitions in France. Thunderbird International Business Review, 59(3), 297–312. 

Pattanaik, D. (2013). Business Sutra : A Very Indian Approach To Management. Aleph.

Shrivastava, P., & Persson, S. (2014). A Theory of Strategy – Learning From China. From walking to sailing. M@n@gement, 17(1), 38-61.

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